Interview de Franck Negro: les défis et enjeux du Local Marketing au 21eme siècle

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Le magazine du Marketing Pixel News à le plaisir de donner la parole à Franck Negro, Managing Director Southern Europe chez Yext, afin d’évoquer les défis et enjeux du Local Marketing au 21ème siècle.

Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Pixel News ?

Yext est une société pionnière dans la création d’une nouvelle catégorie d’applications informatiques appelées : « Digital Knowledge Management ». Basée au cœur de la ville de New York, Yext a été reconnue comme l’une des entreprises à la croissance la plus rapide aux Etats-Unis par l’Inc – 5000 (2015 & 2016), l’une des des plus prometteuses selon Forbes (2014 & 2015) et l’une des « Great Places to Work », toujours selon Forbes (2014,2015 & 2016).

Notre suite intégrée de logiciels en mode SaaS permet aux organisations de toute taille (banque, assurance, hôtellerie, restauration, retail, automobile…) de gérer de façon centralisée les données relatives à leurs établissements (nom, adresse, tél, images, vidéos, horaires d’ouverture, produits, services, évènements, avis consommateurs…), et de synchroniser en temps réel ses données avec leurs pages locales (store locator) et des applications ou autres plateformes tiers comme les moteurs de recherche, les services de cartographie, GPS, réseaux sociaux, annuaires, systèmes intelligents… Les marques peuvent ensuite mesurer de façon précise l’exposition online de leurs établissements, mais aussi le niveau d’engagement de leurs clients dans l’ensemble de l’écosystème digitale.

L’objectif ultime des outils de « Digital Knowledge Management » est ainsi d’utiliser et optimiser la présence online d’une marque afin de générer des flux online (site internet) et offline (points de vente, agences, restaurants…).

L’entreprise est actuellement en pleine croissance, avec une actualité forte. Sur ces douze derniers mois nous avons ouvert des bureaux à l’international (Londres, Berlin, Paris, Tokyo, Genève), et procédé à notre introduction en bourse en avril dernier. Notre capitalisation boursière se situe aujourd’hui aux alentours de 1,3 milliard de dollars (29 novembre 2017), tandis que notre chiffre d’affaires sur le dernier exercice était de 124 millions de dollars. Nous projetons de réaliser environ 170 millions de dollars sur l’exercice en cours qui se clôturera pour nous, fin janvier 2018 (37% de croissance).

Quelques mots sur votre parcours professionnel …

Titulaire d’un DEA de philosophie (Université de Paris X Nanterre) et d’un Master 2 en Management (Université de Paris-Dauphine), j’ai débuté ma carrière comme Ingénieur Commercial chez Canon France, puis Xerox France.

En 1997, j’ai rejoint la société Adobe Systems France, au sein de laquelle j’ai évolué jusqu’à devenir Sales Director SMB SouthWest of Europe.

De 2012 à 2014, j’ai été en charge de la transformation du business model d’Adobe de la vente de licences perpétuelles à la vente de licences logicielles sous la forme d’abonnement pour la région EMEA SouthWest (France, Italie, Espagne, Portugal et Benelux).

Puis, en février 2015 j’ai rejoint Experian Marketing Services France en tant que Chief Operating Officer, puis Managing Director à partir d’octobre 2015.

J’ai finalement rejoint Yext en février 2017 au poste de Managing Director Southern Europe (France, Italie, Espagne, Portugal).

Qu’est-ce que le Drive to store ?

Le Drive to Store constitue un ensemble d’actions et de technologies qui visent à tirer profit des différents leviers digitaux (e-mail, SMS, SEA, SEO…) dans le but de générer du trafic qualifié vers les établissements physiques d’une marque.

C’est un enjeu majeur pour beaucoup d’organisations, puisque je rappelle que le e-commerce ne représente que 7% des ventes de détail en France (source FEVAD), même si l’on peut remarquer des disparités selon les secteurs d’activité. Je pense par exemple au tourisme (43%) ou aux produits culturels (39%). Sans parler des taux de conversion offline qui sont bien plus importants que les taux de conversion online. Près de 50% pour l’offline, contre 1% à 2% seulement pour l’online.

Or dans un environnement omnicanal, le mobile constitue désormais le principal « pont » entre le monde online et le monde offline. Selon Google, les recherches locales augmentent 50% plus rapidement que l’ensemble des requêtes mobiles à l’échelle mondiale. Dans ce cadre, la gestion de la présence digitale des points de vente est un enjeu stratégique pour les marques. Sur ces 20 dernières années, ces dernières se sont principalement concentrées sur leur site web. Mais désormais, le site internet n’est plus le principal lieu d’interaction digital entre une marque et ses clients. Celle-ci existe aussi ailleurs que sur son site web. Elle existe sur Google, sur Facebook, sur Apple, sur Yelp, sur Waze, dans des services de cartographie (Google Maps, Apple Maps), des GPS, des annuaires, des assistants personnels intelligents… Et lorsque vous agréger l’ensemble de ces applications tiers, elles génèrent près de 3 fois plus d’impressions que le propre site internet de la marque. Mais surtout, près de 5 fois plus de call-to-actions (demandes de direction, appels téléphoniques, clics vers le site web de la marque…).

On peut à mon sens résumer ainsi l’enjeu principal du Drive to Store aujourd’hui : puisqu’il est désormais quasi impossible de contrôler le parcours d’achat de ses clients, comment faire en sorte de présenter votre marque « sous son meilleur jour » à chaque fois qu’un client potentiel effectue une recherche dans votre univers produit ?

Les recherches locales en ligne sont majoritairement suivies d’une visite en magasin. Les entreprises ont-elles pleinement pris conscience de l’importance de ce type de requêtes ?

76% des personnes qui effectuent une recherche locale vont en effet en magasin dans les 24 heures qui suivent. Et 28% effectueront un achat (source Google). Or force est pourtant de constater que les marques n’ont pas encore pleinement pris conscience de l’importance de la gestion optimum de leurs données digitales (nom, adresse, téléphone, horaires d’ouverture, images, vidéos, produits, services, avis consommateurs…), dans le cadre d’une stratégie de Drive to Store (offline ou online vers les pages locales).

Aujourd’hui pourtant, l’existence physique d’une marque au travers de ses établissements dépend plus que jamais de sa visibilité online. Les anglo-saxons emploient un mot difficilement traduisible en français mais que les lecteurs comprendront facilement, celui de « discoverability », soit la capacité à être identifié et trouvé par les moteurs de recherche afin d’émerger en bonne position dans les pages de résultats, et optimiser son Click-Through-Rate (CTR). Or cette capacité est strictement dépendante de la qualité, de la consistance et de la profondeur des données qui décrivent votre marque dans l’ensemble de l’écosystème digitale (pages locales et applications tiers).

La première étape d’une démarche « Digital Knowledge Management » sera donc de mettre en place un socle de données uniques et centralisées qu’il s’agira ensuite de synchroniser en temps réel avec l’ensemble des « touch points » digitaux que sont les pages locales du site (store locator), mais aussi et surtout les applications et autres plateformes tiers dont j’ai parlé précédemment.

Comment les entreprises peuvent-elles se préparer à l’essor de la recherche vocale ?

Le « voice search » ou recherche vocale constitue certainement l’une des plus importantes « disruption » depuis la démocratisation du web dans les années 90 et le développement des moteurs de recherche. Elle va changer beaucoup de chose : la façon dont les requêtes vont être formulées (langage naturelle), le mode de restitution de ses mêmes requêtes sous la forme d’une réponse unique, la nécessité pour les organisations d’adopter et de généraliser des standards de structuration de données comme le schema.org, pour rendre les pages de leur site « semantic-friendly » pour les moteurs de recherche…

C’est un chantier important que les entreprises doivent anticiper dès maintenant, car les choses vont aller très vite. Selon ComScore, 50% des recherches que nous effectuerons d’ici 2020 seront vocales. Ce qui change radicalement les choses, puisque la pression sur les marques pour assurer leur par de voix digitale et exister dans leur univers sémantique (soit les termes clés qui définissent le mieux leur activité, les produits et les services qu’elles vendent dans l’esprit de ses consommateurs) va considérablement augmenter. Des habituels « dix liens bleus » qui invitaient l’internaute ou le mobinaute à explorer différentes possibilités de réponses, on va assister au déploiement de systèmes de plus en plus intelligents supposés vous délivrer LA bonne réponse. Pour indiquer ce changement de paradigme, les professionnels du SEO parlent de « moteurs de réponse », et non plus de « moteurs de recherche ».

Que peuvent faire les entreprises pour tirer pleinement parti de ce que nous appelons chez Yext, « un nouvel âge de l’intelligence » ? Pour répondre à cette question, il est important d’avoir en tête les trois composants principaux d’un système intelligent, comme Amazon Echo ou Google Home par exemple. Pour faire simple, un assistant intelligent est un dispositif qui collecte des données, appliquent à ces données des algorithmes complexes, et restituent les informations recherchées au sein d’interfaces utilisateurs fonctionnant la plupart du temps par commande vocale, et répondant vocalement aux questions posées. Trois composants donc : interface utilisateur, algorithme(s) et données. Les entreprises n’ont pas la main mise sur les deux premiers composants. C’est l’affaire de Google, Amazon, Microsoft, Apple…, et demain d’autre acteurs encore, asiatiques notamment, qui vont arriver sur le marché. Par conséquent, si elles veulent tirer pleinement parti de ce nouvel âge de l’intelligence en train d’émerger rapidement sous nos yeux, les marques doivent impérativement prendre le contrôle direct des données les concernant, qui vont alimenter ces nouveaux dispositifs. C’est à partir de ces données que les assistants intelligents vont décider quelle réponse restituée à leurs clients à chaque fois qu’une requête sera formulée dans leur univers sémantique. D’où quatre recommandations :

  • Tout d’abord, commencer par créer un référentiel unique et centralisé de toutes les connaissances digitales concernant sa marque: établissements, personnes, produits, événements… La richesse des attributs décrivant chacune des entités est primordiale pour apparaître notamment, dans des recherches “unbranded” (sans nom de marque).

  • Ensuite, il convient de contrôler, publier et synchroniser proactivement et en temps réel la diffusion de ses informations sur l’ensemble de l’écosystème digitale (pages locales et applications tiers), mais aussi, de rendre ses pages locales semantic friendly pour les moteurs de recherche.

  • Troisième recommandation : la gestion des avis consommateurs est plus que jamais un élément clé de sa stratégie digitale. Ils jouent un rôle essentiel dans les décisions d’achat et constituent un facteur d’influence important pour le positionnement de sa marque dans les résultats de recherche.

  • Une dernière chose enfin: dédier une personne au sein de son organisation à la construction, l’organisation, l’enrichissement la maintenance des informations concernant sa marque, partout où celle-ci est représentée online.

Face à une économie globalisée, les consommateurs sont de plus en plus demandeurs de marques authentiques. Comment les entreprises peuvent-elles relever ce défi ?

C’est une vaste question qui relève davantage de l’analyse sociologique. En premier lieu, qu’est-ce que cela veut dire pour une marque que d’être authentique ?

Si on entend par authentique, « être original », « vrai », « sincère », et véhiculant dans l’esprit des consommateurs des valeurs et des expériences en résonance avec leur identité et leurs croyances personnelles, alors il s’agit moins d’une caractéristique propre à nos économies globalisées qu’à une transformation profonde de notre rapport à l’information, induite notamment par la révolution des technologies de l’information et de la communication. Or dans un contexte de profusion d’information qui est le notre, il devient de plus en plus difficile de capter l’attention et l’intérêt des consommateurs.

Les organisations doivent redoubler tous les jours d’effort pour faire de chacune des interactions potentielles une expérience réussie, en anticipant notamment les lieux et moments qui ponctuent un parcours d’achat. On parle ainsi beaucoup parmi les professionnels du marketing de communication personnalisée et de marketing one-to-one, lequel consiste à traiter différemment des clients qui ont des besoins, des identités, des valeurs, des goûts, des croyances et des aspirations différentes. Très bien ! Ces concepts ne sont pas nouveaux. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’ils ont émergé en même temps que les applications CRM (Customer Relationship Management), c’est à dire à la fin des années 90.

Ce qui a finalement changé depuis, c’est qu’aujourd’hui, les technologies (CRM, DMP, moteurs de recommandation, plateformes de marketing automation…) permettent aux marques de faire de façon automatisée et en quasi temps réel de la personnalisation de masse en s’appuyant sur la collecte et la réconciliation de données online et offline.

Mais une autre révolution entre temps est arrivée : la révolution du mobile. Ou plus précisément, le smartphone, et la façon dont il a bouleversé le processus d’achat des consommateurs. Désormais, ce dernier se trouvent d’un seul coup doté d’une puissance considérable, puisqu’il peut accéder en temps réel et depuis n’importe quel lieu à l’information de son choix : caractéristiques produits, prix, avis consommateurs, itinéraire pour se rendre dans le lieu souhaité, conseils d’experts… Dans ce cadre, les valeurs d’authenticité et de transparence ne relèvent quasiment plus d’un choix des marques, mais d’un impératif imposé par le marché et l’accès facilité à l’information. Et ce phénomène risque de s’amplifier avec le développement du voice search, puisque rechercher une information va devenir encore plus naturelle et aisée. Réfléchissez seulement à ce simple constat : s’il est possible de taper entre 38 et 40 mots par minute sur un appareil mobile, vous pouvez utiliser au moins 150 mots par minute grâce à la recherche vocale…

Observez-vous des différences entre le marché US et le(s) marché(s) européen ?

Globalement, les problématiques des professionnels du marketing sont les mêmes, avec toutefois des différences dues principalement à des situations géographiques et des habitudes de consommations. Les influences culturelles agissent également sur la vitesse d’adoption et de déploiement des nouvelles technologies. Prenez le voice search par exemple : sa vitesse de propagation est plus importante aux Etats-Unis qu’en Europe, certainement parce que les grands acteurs qui participent aujourd’hui à la construction de ce marché sont américains (Google, Amazon, Microsoft, Apple…), et commencent d’abord par investiguer le marché américain. Une étude réalisée par BrightEdge aux Etats-Unis sur le futur du marketing de contenu, indiquait que les trois prochains grands sujets concernant le Search Marketing étaient l’intelligence artificielle, la recherche vocale (développement des assistants digitaux), et enfin, l’optimisation marketing de l’usage du mobile. Je suis certain que les résultats auraient été les mêmes en Europe…

Selon vous, quelles sont les clés pour réussir sa stratégie marketing Drive to store ?

Deux principes de base doivent guider vos actions : 1) Se trouver là où vos clients et prospects vous cherchent. Pour le dire autrement, devenez une « everywhere brand ». Pour cela, Il est impératif de penser au-delà de son propre site internet. Comme je l’ai dit au début de cet entretien, le site internet n’est plus la pièce centrale de l’expérience digitale des consommateurs. Et ce phénomène va aller en s’amplifiant avec le développement des systèmes intelligents ; 2) Donner la meilleure image possible de vous-mêmes à chaque interaction. Je veux naturellement parler ici d’expériences de marque différenciantes sur chacun des sites, applications, plateformes et terminaux utilisées par vos consommateurs potentiels.

Quelle est votre vision sur l’avenir du Search marketing ?

Aujourd’hui, le plus grand changement est de loin la recherche vocale et la popularité croissante des appareils qui l’exploitent. En décomposant l’anatomie de ses nouveaux systèmes intelligents, j’ai évoqué tout à l’heure, l’évolution des interfaces homme-machine. Prenons quelques illustrations. Globalement, l’interface utilisateur est une histoire de sens : le toucher, la voix, la vue… Au cours des dix dernières années, nous nous sommes habitués aux interfaces tactiles, avec le développement des smartphones et des tablettes. Il y a quelques mois d’ailleurs, Amazon lançait son Echo Show, une version “écran tactile” de son assistant intelligent Amazon Echo, lequel fonctionne intégralement sur la voix. Mais Echo show répond surtout à un besoin majeur de la promotion et de la vente de produits à l’ère de l’intelligence et de la recherche vocale: il permet aux consommateurs potentiels de s’assurer que ce qu’ils recherchent correspond parfaitement à ce qu’ils souhaitent commander. Il associe donc une réponse visuelle (la vue) à une demande vocale (la voix). On peut évoquer aussi Google Lens, un dispositive de reconnaissance d’objets qui permet, grâce à la caméra de votre smartphone, d’obtenir des informations contextuelles sur une entité donnée (un livre, un bâtiment, un restaurant, une affiche, un produit…). Les cas d’usages sont quasi infinis. Il suffira par exemple à un consommateur de prendre la photo d’un restaurant, et d’obtenir des informations sur la carte, les prix, le plat du jour, les avis consommateurs, les horaires d’ouverture, la teneur en calories des aliments… Ou encore de prendre la photo d’une veste ou d’une paire de chaussure et d’obtenir en retour des informations sur les points de vente les plus proches (horaires d’ouverture, itinéraire…). La recherche de demain sera de plus en plus immersive et multisensorielle. Dans ce cadre, les entreprises devront davantage se concentrer sur l’engagement visuel de leurs consommateurs, et avoir un parfait contrôle des données les concernant, afin d’être en mesure de délivrer des expériences exceptionnelles à n’importe quel moment, sur n’importe quel device.

Un dernier mot pour les lecteurs de Pixel News …

J’espère que vous avez tiré profit de la lecture de ces quelques lignes, et que ces dernières ont contribué à éclairer un tant soit peu le futur du local marketing…

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